Leïla Simon – Art press

n° 396, janvier 2013, pp.55-57

La perte de repère est récurrente dans le travail de Cécile Beau. Confusion, quand on croit voir ou entendre quelque chose qui nous est familier puis que l’on découvre progressivement que tel n’est pas le cas et vice versa. Déstabilisation, lorsque le visiteur doit longer un couloir obscur pour déboucher dans un espace blanc très lumineux, Biale (2007). Perturbation, face à un changement d’échelle pour Suma (2010) forêt composée d’arbres miniatures présentée en hauteur sur un socle. Trouble, lorsqu’on voit des cercles concentriques dessinés sur une flaque et que l’on entend le bruit d’une goutte d’eau sans pour autant la voir, Vallen (2009). Désorientation, avec L’envers (2010-2012) arbre à deux têtes touchant et le sol et le plafond. Brouillage de piste avec les bandes sonores associant des sons proches de ce que l’on voit et en même temps tissés, agencés avec d’autres difficilement identifiables. A l’instar de Akmuo (2009) qui est un lit de rivière asséché installé dans un bac et d’où s’échappent des sons d’écoulements d’eau dans une atmosphère lunaire. Ou de Biale, hiver interminable au temps suspendu que la bande son vient contredire et bouleverser.

Cécile Beau opère souvent des changements d’échelle et crée des contrastes entre ce que l’on voit et ce que l’on entend. Ce que l’on voit peut être une miniature (Suma) ou délicatement perceptible (Fodere, Biale, Nebbiu). Alors que ce que l’on entend a été amplifié (Suma, C=1/√ρχ). L’élément visuel est fixe, immobile, stagnant ou imprimé. Le mouvement est créé par les sons, voire même par leur diffusion, leur résonance qui actionneront l’œuvre (Vallen et Sillage). Par cette circulation les sons peuvent être parfois remodelés jusqu’à en perdre leur texture première (C=1/√ρχ). Le son apporte une notion de temps qui s’écoule, de durée contrastant avec celle figée et suspendue du visuel.

Le son se retrouve également dans la musicalité des titres choisis par Cécile Beau. Souvent tirés d’une langue étrangère, telle une énigme à élucider leur(s) signification(s) ne se révèle(nt) pas tout de suite et contribue(nt) à cette idée de voyage, de traversée, d’évasion, de découverte…

Le paysage est également récurrent dans le travail de Cécile Beau qui ne cherche pas à imiter la nature mais plus à l’élucider, à en exprimer une réalité cachée, à multiplier les points de vue, les points d’écoute. Démarche comparable à celle des romantiques allemands mais avec une iconographie, atmosphère évoquant l’univers de la science-fiction dans une esthétique proche du minimal. Paysage ou plus exactement bout de paysage. Ce que l’on voit, ce que l’on entend est un extrait de quelque chose de beaucoup plus vaste que l’on peut achever mentalement, concevoir par extrapolation. Biale est un panorama à reconstituer où les motifs et le fond fusionnent à l’instar de la série Nebbiu.

Le trouble se ressent également à travers cette pratique du paysage où l’on suppose une présence humaine. Absence qui se fait à la fois cruellement et délicieusement ressentir. Tel un paysage du futur, de pure fiction C=1/√ρχ, ville fantôme aux architectures de verres, produit en effet cette sensation.

L’artiste, tel un démiurge, maîtrise, crée une nature et les sons inhérents. A l’instar de Suma et Akmuo évoqués plus haut. De même qu’avec l’installation Sillage, au liquide noir ondulatoire dans lequel vient se mirer un composant artificiel, quadrillage rigoureux et scientifique d’une grille, Cécile Beau en collaboration avec Nicolas Montgermont évoque cette fois-ci un événement générateur d’effroi de l’ordre du terrestre, du tellurique, d’une dynamique géologique.

L’espace est aussi présent dans le travail de Cécile Beau. Diffusion d’espace avec les variations sonores découlant de l’architecture musicale et poétique de C=1/√ρχ. Impression d’espace avec les lignes d’horizon fossilisées de Fodere ou les paysages extraterrestres de Empreinte ou Phénomène. Appréhension de l’Espace ou plus exactement exploration de l’Espace à travers des mirages, des fragments où l’Univers y est décortiqué, analysé. Une pierre extraite d’une planète inconnue est plongée dans un aquarium au liquide bleu électrique (Specimen, 2012). Le son qui s’en dégage a pour fonction, ici, de réanimer cet échantillon. Chondite Carbonée pourrait être les miettes de cette même terre inconnue. Les titres de ces œuvres récentes viennent également étayées cette idée d’analyse en donnant la liste de composés chimiques.

Cécile Beau nous propose de ressentir et d’observer des paysages, d’accéder à des contrées lointaines aux temporalités différées. Ces découvertes sont de l’ordre du merveilleux défiant l’espace et le temps, où l’artiste y dessine de l’étrangeté à la sérénité diffuse. Alors que son travail pourrait s’arrêter sur une contemplation poétique elle nous propose diverses lectures aux multiples citations nous incitant à l’évasion dans une immensité retenue.

Leïla Simon, 2013