Caprices intempestifs – Philippe Mouillon

Ce sont de simples histoires, des histoires enfouies, enchevêtrées, constituées de données incertaines, fragiles, floues, déconcertantes, mais qui permettent d’entrevoir quelque chose comme une texture du tohu-bohu des premiers matins du monde.

Ici, épanouissement et détresse s’entremêlent. La lumière recherchée est fossile, et proviendrait du fond diffus cosmogonique. Elle contient en particulier les caractéristiques de l’épisode d’inflation qui aurait eu lieu 10-20 seconde environ après le big-bang. Les sons seraient fossiles, car ils sont émis par une poignée de grillons déjà présents sur terre il y a 200 millions d’années et dont le chant est une des rares sonorités des origines de la vie terrestre dont on puisse être certain. Champignons, mousses, lichens, fougères, ou prêles, les espèces végétales proviendraient elles-aussi des lointains reculés, sans modifications notables. Ces plantes ont vu le monde avant qu’il ne soit habité par le vivant, humain et animal. Elles nous imprègnent de leurs formes d’organisation archaïques en transformant l’eau et la lumière du soleil en ce qui sera un espace viable, un milieu accueillant pour le vivant. Car elles produisent notre atmosphère en la chargeant de cet oxygène que nous inspirons et expirons, et qui pénètre tous les instants de notre corps. Notre monde n’existe que par cette atmosphère. Nous n’habitons pas la terre, écrit Emanuele Coccia , nous habitons l’air à travers l’atmosphère.

Ces indices panchroniques, parvenus depuis l’obscurité des origines jusqu’à aujourd’hui, semblent d’une utilité bienvenue pour nous aider à discerner les composants toxiques de notre à-venir. Ils sont réunis sur ce plan de consistances tendu entre le savoir-faire indigène somptueux du sol en granit et la naïve illustration de la vie céleste peinte au plafond.

De nouvelles compositions viables pourront émerger demain, et se transformer, gagner ou perdre en consistance, disparaître. Le vivant est toujours ouvert, sans promesse de stabilité, polyphonique, constitué de multiples rythmes temporels et de trajectoires enchevêtrées qui ne se plient pas aux intérêts et aux projets humains. Et parce que cette diversité de dynamiques indifférentes ne cesse de nous surprendre, et résiste à la simplification, nous la nommons et la classons habituellement sous le terme de caprices de la nature. Cécile Beau possède l’art délicat d’observer et de figurer ces caprices intempestifs, c’est-à-dire ces histoires amorales dont les humains ne sont pas au centre.

Philippe Mouillon

Dans le cadre de « L’art dans les chapelles », Chapelle Notre-Dame du Guelhouit, Melrand, 2018